Le 15 juin 2015
Leslie Rose
Avocate-conseil principale, Financement des sociétés
British Columbia Security Commission
C.P. 10142, Pacific Centre
701, rue West Georgia
Vancouver, Colombie-Britannique
V7Y 1L2
Lettre envoyée par courriel à l’adresse : lrose@bcsc.bc.ca
OBJET : Dispense de prospectus proposée à l’égard de certaines distributions émises par l’intermédiaire d’un courtier en valeurs mobilières : avis multilatéral 45-315 des Autorités canadiennes en valeurs mobilières (ACVM)
FAIR Canada a le plaisir de faire part de ses commentaires sur la dispense de prospectus proposée qui permettraient aux émetteurs inscrits à la cote d’une bourse canadienne de réunir des capitaux en plaçant des titres auprès d’investisseurs ayant obtenu d’un courtier en valeurs mobilières des conseils quant à la convenance du placement (la « dispense proposée »). Cette dispense est proposée par les autorités de réglementation des valeurs mobilières de la Colombie-Britannique, du Nouveau-Brunswick et de la Saskatchewan (les « provinces participantes »).
FAIR Canada est un organisme sans but lucratif national de défense des épargnants. En tant que voix nationale pour les investisseurs, FAIR Canada s’est engagée à promouvoir une meilleure protection pour les investisseurs en matière de réglementation des valeurs mobilières. Consultez le site faircanada.ca pour obtenir de plus amples renseignements.
1. La dispense proposée
1.1. Les provinces participantes proposent une nouvelle dispense de prospectus qui permettrait aux émetteurs inscrits à la cote d’une bourse canadienne de réunir des capitaux en plaçant des titres auprès d’investisseurs ayant obtenu d’un courtier en valeurs mobilières des conseils quant à la convenance du placement.
1.2. Les principales conditions liées à la dispense proposée sont les suivantes :
- L’émetteur doit être un émetteur assujetti dans au moins une province du Canada et il doit avoir des titres d’une catégorie inscrits à la cote d’une bourse canadienne.
- L’émetteur doit respecter ses obligations d’information continue.
- L’offre ne peut comprendre qu’un titre coté, une part consistant en un titre coté et un bon de souscription pour l’acquisition d’un autre titre coté, ou un autre titre convertible en titre coté à la discrétion exclusive du porteur de titres.
- Le communiqué annonçant l’offre doit contenir certains renseignements. Il doit notamment expliquer la distribution et l’utilisation des produits, et divulguer tout fait ou changement important concernant l’émetteur qui n’aurait pas été divulgué de façon générale.
- L’investisseur doit obtenir des conseils quant à la convenance du placement auprès d’un courtier en valeurs mobilières, et il est demandé, dans l’une des trois questions posées aux actionnaires dans le document de consultation, si la dispense devrait être étendue aux courtiers du marché dispensé.
1.3. Le document de consultation indique que la dispense proposée offrirait aux investisseurs particuliers l’« occasion » d’investir directement auprès des émetteurs, et fait valoir que les investisseurs particuliers n’ont pas accès aux modalités plus favorables généralement offertes dans le cadre des placements privés, comme l’établissement d’un prix inférieur au cours du marché qui est permis par les politiques des bourses.
2. Les conseils sur la convenance ne suffisent pas
2.1. FAIR Canada est d’avis qu’en pratique, les seuls courtiers en valeurs mobilières qui seront en mesure de fournir des conseils sur la convenance du placement sont ceux qui participent à la souscription du placement en question puisqu’eux seuls peuvent disposer de suffisamment de renseignements sur l’émission pour pouvoir se conformer à la règle sur la connaissance des produits. Par conséquent, les conseils sur la convenance des placements ne pourront être fournis par des courtiers en valeurs mobilières impartiaux; ils seront forcément fournis par des courtiers en conflit d’intérêts direct.
2.2. FAIR Canada croit que les conseils sur la convenance ne pourront être objectifs en raison des conflits d’intérêts, et la divulgation de ceux-ci ne permettra pas de protéger les investisseurs adéquatement. Les investisseurs particuliers s’attendent à ce que leur conseiller en placements leur fournisse des conseils qui sont dans leur intérêt supérieur, qu’il y ait ou non conflit d’intérêts.[1]
2.3. FAIR Canada croit que la dispense ne serait acceptable que si elle était assujettie à une norme réglementaire donnant priorité aux intérêts des investisseurs. S’il est recommandé à un investisseur particulier d’acquérir un titre, cette recommandation doit être faite dans l’intérêt supérieur de l’investisseur et pas seulement parce que le placement est convenable pour lui.
2.4. De nombreuses études réalisées auprès des consommateurs de services financiers canadiens démontrent que ceux-ci font entièrement confiance à leurs conseillers financiers et qu’ils ne se soucient pratiquement pas des effets qu’un conflit d’intérêts pourrait avoir sur les conseils fournis. De plus, les recherches indiquent que la divulgation serait plus efficace si les destinataires des conseils avaient l’expertise ou l’expérience nécessaire pour pouvoir évaluer les effets possibles des conflits d’intérêts divulgués[2]. Cela en dit long sur l’utilité de la divulgation à des personnes peu averties, comme les investisseurs particuliers, qui ont, en l’occurrence, le plus besoin de protection.
2.5. « Pour que la divulgation soit efficace, les destinataires des conseils doivent comprendre en quoi le conflit d’intérêts a influencé le conseiller et ils doivent être en mesure de corriger cette influence. »[3] [Traduction] À notre avis, la plupart des investisseurs n’ont pas les connaissances ni l’expérience nécessaires pour pouvoir neutraliser adéquatement les effets du conflit d’intérêts divulgué[4].
2.6. Ainsi, FAIR Canada est d’avis que la convenance n’est pas une norme suffisamment élevée sur laquelle fonder la nouvelle dispense de prospectus visant les investisseurs particuliers.
3. Les investisseurs retireront-ils réellement des avantages de ces occasions de placement?
3.1. FAIR Canada constate que le document de consultation ne fait mention d’aucun élément de preuve empirique étayant l’affirmation selon laquelle les investisseurs particuliers tireront avantage de la possibilité d’investir directement auprès des émetteurs qui offrent des titres non cotés.
3.2. Un article universitaire indique que les émetteurs choisissent les placements privés plutôt que les appels publics à l’épargne, plus coûteux. En effet, en économisant sur les coûts d’inscription des titres, les émetteurs peuvent offrir aux investisseurs, dans le cadre de placements privés, des modalités plus avantageuses[5]. Cependant, les économies théoriques ne sont pas nécessairement réalisées en pratique, et aucun élément de preuve empirique ne le démontre.
3.3. D’autres recherches universitaires n’étayent pas l’hypothèse selon laquelle les investisseurs tireront avantage de l’achat de placements privés auprès d’émetteurs inscrits. Dans une étude portant sur le rendement des placements privés dans de petites sociétés ouvertes, les professeurs Cécile Carpentier, Jean-François L’Her et Jean-Marc Suret ont découvert qu’en moyenne, les placements privés offrent de piètres rendements[6]. Une autre étude portant sur le rendement des placements privés émis par des sociétés inscrites à la Bourse de Toronto a également révélé que les placements privés en actions offraient de mauvais rendements[7]. Les résultats obtenus suggèrent que les investisseurs auprès de petites sociétés ouvertes peuvent faire preuve d’un optimisme exagéré; ils ont tendance à ne pas mettre en doute les cours excessivement élevés et à ignorer le risque que l’émetteur obtienne de mauvais résultats (et il est ici question d’investisseurs « accrédités »).
3.4. En l’absence d’éléments de preuve empiriques convaincants pour appuyer le fait que ce type de placements serait avantageux pour les investisseurs particuliers, et compte tenu des conflits d’intérêts qui se présenteront au moment de déterminer si un placement est convenable pour un investisseur (sans qu’il soit réellement dans l’intérêt supérieur de l’investisseur de l’acquérir), FAIR Canada n’appuie pas la mise en œuvre de la dispense proposée.
3.5. Toutefois, si les provinces participantes décident tout de même de mettre en œuvre la dispense proposée, FAIR Canada recommande que celle-ci ne soit pas étendue aux courtiers du marché dispensé en raison du faible niveau de conformité de ceux-ci aux obligations relatives à la divulgation des relations et à la convenance des placements[8].
3.6. De plus, si les provinces participantes mettent tout de même en œuvre la dispense proposée sous réserve de l’obtention de conseils sur la convenance, elles devraient exiger non seulement qu’il soit confirmé qu’une consultation a bel et bien eu lieu, mais également que la recommandation faite au particulier par le courtier en valeurs mobilières quant à la convenance du placement proposé soit étayée explicitement.
Nous vous remercions de nous avoir donné la possibilité de formuler, par la présente, nos commentaires et nos points de vue. Nous acceptons que ce document soit rendu public, et nous serions heureux d’en discuter avec vous à votre convenance. N’hésitez pas à communiquer avec Neil Gross au 416-214-3408 (neil.gross@faircanada.ca) ou avec Marian Passmore au 416-214-3441 (marian.passmore@faircanada.ca).
Veuillez agréer l’expression de nos sentiments distingués.
Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs
[1] Fonds pour l’éducation des investisseurs, « Investor behavior and beliefs: Advisor relationships and investor decision-making study”, rédigé par The Brondesbury Group, 2012, page 28. Accessible en ligne à l’adresse : http://www.getsmarteraboutmoney.ca/en/research/Our-research/Documents/2012%20IEF%20Adviser%20relationships%20and%20investor%20decision-making%20study%20FINAL.pdf.
[2] Daylian M. Cain, George Loewenstein et Don A. Moore, « The Dirt on Coming Clean: Perverse Effects of Disclosing Conflicts of Interest », 2005, Journal of Legal Studies, 34(1), page 1-20.
[3] Ibid, page 3.
[4] Cette situation est le résultat de la combinaison d’un manque de sensibilisation à l’égard des conflits d’intérêts et des faibles connaissances générales des Canadiens en investissement. L’Indice des investisseurs 2012 des ACVM a révélé que bon nombre d’investisseurs n’ont aucune idée de la façon dont les conseillers financiers canadiens sont rémunérés et que les connaissances générales des Canadiens en investissement sont faibles, 40 % des répondants ayant échoué un test sur les connaissances générales en investissement. Innovative Research Group, « Indice ACVM des investisseurs 2012 », 16 octobre 2012, page 45. Accessible en ligne à l’adresse : http://www.securities-administrators.ca/uploadedFiles/General/pdfs/2012%20CSA%20Investor%20Index%20-%20Public%20Report%20FINAL_EN.pdf.
[5] So-Yeon Lee, « Why the “Accredited Investor” Standard Fails the Average Investor », Boston University, 31 Review of Banking and Financial Law 987, page 1016. Accessible en ligne à l’adresse : http://www.bu.edu/rbfl/files/2013/09/AccreditedInvestorStandardFails.pdf
[6] Cécile Carpenter, Jean-François L’Her et Jean-Marc Suret, « The return on private investment in small public entities » 4 mai 2011. Accessible en ligne à l’adresse :: http://ssrn.com/abstract=1712481.
[7] Maher Kooli, « Does Earnings Management Explain the Performance of Canadian Private Placements of Equity », The Journal of Private Equity (printemps 2009), pages 86-94. Accessible en ligne à l’adresse : http://www.iijournals.com/doi/full/10.3905/JPE.2009.12.2.086.
[8] Voir l’Avis 31-334 du personnel des ACVM, « Examen par les ACVM des pratiques en matière d’information sur la relation », daté du 18 juillet 2013. Accessible en ligne à l’adresse : https://www.lautorite.qc.ca/files//pdf/reglementation/valeurs-mobilieres/0-avis-acvm-staff/2013/2013juil18-31-334-avis-acvm-fr.pdf. Voir également le Rapport annuel de 2012 de la Commission des valeurs mobilières de l’Ontario à l’intention des courtiers, des conseillers et des gestionnaires de fonds d’investissement. Accessible en ligne à l’adresse : http://www.osc.gov.on.ca/en/SecuritiesLaw_sn_20121122_33-738_annual-rpt-dealers.htm.