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Le 25 février 2011

Marsha Manolescu
Conseillère principale en matière de politique
Ministère des Finances et de l’Entreprise d
522, 9515 – 107 Street
Edmonton (Alberta) T5K 2C3
Télécopieur : 780 644-7759
Courriel : marsha.manolescu@gov.ab.ca

Francois Bouchard
Directeur, Direction de l’encadrement du secteur financier
Ministère des Finances du Québec
8, rue Cook, 4e étage
Québec (Québec) G1R 0A4
Télécopieur : 418 646-5744
Courriel : francois.bouchard@finances.gouv.q

Objet : Consultation sur les options de constitution en personne morale de représentants de courtiers et de conseillers inscrits

FAIR Canada a le plaisir de donner ici ses commentaires sur les options de constitution en personne morale de représentants de courtiers et de conseillers inscrits (les « options »), en réponse au document du 20 décembre 2010 (le « document de consultation ») qu’a établi le Groupe de travail des gouvernements provinciaux et territoriaux (le « groupe de travail ») et qu’a publié le ministère des Finances et de l’Entreprise de l’Alberta.

FAIR Canada est un organisme sans but lucratif national de défense des épargnants. À titre de représentant des investisseurs canadiens, FAIR Canada milite pour une plus grande protection des investisseurs dans le domaine de la réglementation des valeurs mobilières. Pour de plus amples renseignements, nous vous invitons à consulter notre site faircanada.ca.

Sommaire des recommandations de FAIR Canada

1. FAIR Canada considère que l’évaluation des options doit tenir compte prioritairement de la protection des investisseurs. Les autorités réglementaires ne devraient pas consacrer leurs rares ressources disponibles pour cette protection à une déformation du système de réglementation destinée à favoriser l’évitement fiscal.

2. FAIR Canada juge que la constitution en personne morale est incompatible avec les fondements de la réglementation des courtiers et conseillers inscrits, car elle affaiblirait supervision et la surveillance que ceux-ci exercent sur leurs représentants.

3. FAIR Canada juge que la constitution en société, qui protège contre les poursuites en responsabilité, est incompatible avec la nécessité d’avoir des personnes inscrites qui soient responsables de leurs actes.

4. FAIR Canada considère qu’aucune des trois options n’est souhaitable.

5. FAIR Canada recommande aux pouvoirs publics et aux autorités réglementaires de viser un haut niveau de supervision et d’application des réglementations, et de ne pas participer à un nivellement par le bas destiné à procurer des avantages fiscaux à des membres du secteur, nivellement qui ancrerait davantage des méthodes de rémunération inappropriées et contraires aux intérêts des investisseurs.

6. Nous sommes heureux de constater que le document de consultation n’est pas une initiative des Autorités canadiennes en valeurs mobilières. Nous encourageons les membres des ACVM à faire de l’amélioration de la protection des investisseurs leur priorité fondamentale, et à ne pas s’engager dans des politiques comme celle-ci qui visent plus à faciliter l’évitement fiscal pour des personnes inscrites qu’à protéger les investisseurs.

1. Le cadre de discussion

1.1. FAIR Canada reconnaît l’importance des principes avancés par le groupe de travail en page 3  du document de consultation et tirés de 1999 du Comité sur les structures de distribution des ACVM (le «comité »). Pour l’évaluation des options, nous jugeons que les principes suivants sont particulièrement importants:

a) le courtier ou le conseiller doit être responsable devant la loi des actes de ses représentants;
b) le courtier ou le conseiller doit superviser adéquatement ses représentants;
c) tout conflit d’intérêts doit être porté à la connaissance du client et celui-ci doit être au fait de toutes les options de protection des investisseurs qui s’offrent à lui;
d) le courtier et les autorités de réglementation doivent être en mesure d’exercer leur rôle de supervision.

1.2. FAIR Canada est également d’accord avec le comité quand il conclut que la relation entre le courtier ou conseiller et son représentant est cruciale pour l’application des principes ci-dessus. Nous considérons que la nature juridique du lien entre les deux revêt une importance capitale lorsqu’on veut établir si l’une des options est souhaitable.

1.3. FAIR Canada considère aussi que les conséquences pratiques des options sur les relations entre le client, le représentant, le courtier ou conseiller et lautorité réglementaire sont aussi primordiales. L’importance capitale de la nature juridique du lien entre le courtier ou conseiller et le représentant que nous évoquons au paragraphe 1.2 ci-dessus découle de son incidence sur ce facteur.

1.4. FAIR Canada estime que la protection des investisseurs doit être au coeur du processus d’évaluation des options. Nous notons que mis à part le fait que les investisseurs sont reconnus comme « autres interlocuteurs », leur protection n’a pas été retenue par le groupe de travail comme un critère d’accord pour considérer que les investisseurs ne sont que de simples « interlocuteurs » concernés par ces options, mais pensons que parce qu’ils sont les clients des courtiers et conseillers, la défense de leurs intérêts devrait être une considération centrale essentielle pour l’évaluation. Toute option qui aurait pour effet d’affaiblir la protection des investisseurs devrait être rejetée.

2. Les réponses de FAIR Canada aux questions du groupe de travail

2.1. FAIR Canada a étudié les six questions posées par le groupe de travail en page 10 du document de consultation et présente ci-dessous ses réponses. Les explications relatives à ces dernières seront données plus loin, lors de l’analyse de chacune des trois options.

2.2. Question 1 : Les gouvernements devraient-ils permettre à un plus grand nombre de courtiers et de conseillers inscrits de transférer leur rétribution à une entreprise non inscrite? FAIR Canada considère que la rémunération des services rendus à un courtier ou conseiller inscrit par un représentant en sa qualité de représentant ne devrait jamais et en aucun cas être transférée à une société non inscrite.

2.3. Question 2 : Les gouvernements devraient-ils permettre aux représentants de courtiers et de conseillers inscrits de se doter de la personnalité morale? FAIR Canada estime contre-indiqué de permettre à des personnes physiques représentant des courtiers et conseillers inscrits de se doter de la personnalité morale pour exercer toute activité à ce titre.

2.4. Question 3 : Dans l’affirmative, quelle option serait selon vous la plus efficace et la plus équilibrée? Notre réponse à la question 2 nous dispense de répondre à cette question-ci  puisque nous sommes contre une autorisation gouvernementale de sociétés non inscrites. Nous estimons cependant que l’option 2 proposée par Adocis serait pire que les deux autres, pour les raisons que nous donnons plus loin aux paragraphes 5.7 à 5.10.

2.5. Question 4 : Devrait-on envisager d’autres dispositions ou options afin de faire en sorte que la relation juridique entre la personne inscrite et le client soit préservée et que les représentants soient suffisamment encadrés par leur courtier ou leur conseiller inscrit? FAIR Canada considère que le recours à une société, quel qu’il soit, ne permettra pas de préserver les liens actuels entre
constitution en personne morale ruinerait les fondements juridiques d’une telle relation.

2.6. Question 5 : Avez-vous des inquiétudes ou des commentaires en ce qui concerne les répercussions fiscales ou les obstacles réglementaires associés à chaque option? FAIR Canada n’a pas de commentaires à faire à légard des répercussions possibles des options sur l’impôt sur le revenu, mais tient à souligner que les comparaisons avec les sociétés professionnelles par actions et leur régime fiscal sont pour l’essentiel inappropriées. Les membres d’une profession qui se constituent en société sont dans une situation contractuelle différente de celle des représentants et entretiennent avec leurs clients des
relations fondamentalement différentes, à la fois juridiquement et dans la pratique.

2.7. Question 6 : Avez-vous des inquiétudes ou des commentaires en ce qui concerne les répercussions possibles des options sur la protection des investisseurs? FAIR Canada estime que chacune des options risque de porter atteinte à la protection des investisseurs.

2.8. Nous nous sommes aussi penchés sur la question de la page 7 du document de consultation, à savoir s’il y aurait des changements à apporter au cadre actuel régissant les structures commerciales des représentants de courtiers et de conseillers inscrits. Nous avons conclu qu’il ne serait pas approprié de modifier le cadre actuel, compte tenu des fondements de la réglementation applicable aux courtiers et conseillers inscrits et à leurs représentants.

3. La constitution en personne morale est incompatible avec les fondements de la réglementation des courtiers et conseillers.

3.1. La protection des investisseurs est l’objectif fondamental de la réglementation des valeurs mobilières. Nous pensons donc qu’elle doit être la considération première de toute évaluation de la réglementation applicable aux courtiers ou conseillers inscrits et que les moyens d’assurer cette protection revêtent une importance capitale.

3.2. La supervision des représentants par les courtiers ou conseillers est le principal rempart des investisseurs contre les malversations. Comme les représentants ne sont pas euxmêmes des courtiers ou conseillers inscrits, il est indispensable que ces derniers supervisent et contrôlent avec diligence le travail des premiers.

3.3. Le nombre de plaintes reçues par l’Ombudsman des services bancaires et d’investissement a explosé en quelques années: selon son rapport annuel, en 2009, il a eu 73 % de plus de cas à traiter qu’en 2008 et 200% de plus qu’en 2006. Un communiqué récent indique qu’au dernier trimestre de 2010, l’OSBI a ouvert encore plus de dossiers qu’au même trimestre de 2009. Devant cette flambée des plaintes, nous sommes convaincus que toute mesure susceptible d’éroder la protection des investisseurs serait contre-indiquée, particulièrement à ce stade.

3.4. À l’heure actuelle, les courtiers et conseillers inscrits ont la responsabilité de la conformité au niveau de chaque représentant. La réglementation stipule en effet qu’ « il incombe à une société inscrite de disposer d’un système qui favorise la conformité de la société et des particuliers au droit des valeurs mobilières ».1 La clé de voûte du système est l’obligation, pour une société inscrite, d’avoir un système capable de « fournir l’assurance raisonnable que la société et les personnes physiques agissant pour son compte se conforment à la
législation ».2

3.5. L’essor du nombre d’affaires portées devant l’OSBI donne à penser que même maintenant, les courtiers et conseillers inscrits ne réussissent pas à bien faire respecter les obligations de conformité. FAIR Canada considère que leurs efforts en ce sens porteraient encore moins fruit si les représentants avaient l’autorisation de se constituer en personne morale.

3.6. Les sociétés ne peuvent pas être des salariés. De par la loi, un salarié est une personne physique liée à son employeur par un contrat de travail. Actuellement, l’article 6.1 du Règlement 31-103 oblige les représentants à être salarié, associé ou mandataire d’un courtier ou conseiller inscrit,3 ce qui signifie en pratique que les actes d’un représentant sont ceux du courtier ou conseiller inscrit.

3.7. FAIR Canada remarque que le seul avantage mentionné par le groupe de travail est l’efficience fiscale. En effet, les quatre avantages énoncés en page 6 du document de consultation reviennent tous à dire que les représentants ont intérêt à cette efficience fiscale. L’autre gros « avantage » que nous voyons à la constitution en personne morale est la limitation de la responsabilité, qui n’est pas mentionnée dans le document.

3.8. Pour bénéficier des avantages fiscaux de la constitution en personne morale, la société du représentant devra passer de manière indépendante un contrat avec le courtier ou conseiller inscrit ou exercer son activité en partenariat avec lui. Or si cette société a comme seule activité la fourniture de services personnels à une autre qui serait assimilable à un employeur, elle tombera sous le coup des dispositions de la Loi de l’impôt sur le revenu régissant les entreprises dites «
fiscaux seront perdus.4

3.9. FAIR Canada estime de ce fait qu’il n’est pas seulement probable, mais aussi logiquement nécessaire, que tout changement destiné à autoriser des représentants à se constituer en personne morale devra obligatoirement inclure des règles permettant des relations contractuelles indépendantes entre eux et les courtiers ou conseillers inscrits. Ce n’est que par une telle relation à distance ou par un partenariat qu’un représentant pourrait bénéficier des avantages fiscaux espérés.

3.10. Dans d’autres branches, la réglementation s’applique individuellement aux membres de certaines professions. Mais dans le cas des représentants du secteur financier, l’application se fait essentiellement par le courtier ou le conseiller chez qui ils travaillent et qui est obligé d’avoir le contrôle le plus direct possible sur leur travail. Autoriser ces représentants à devenir des contractants indépendants démantèlerait la structure actuelle de conformité.

3.11. Pour qu’un courtier ou conseiller inscrit puisse exercer le contrôle le plus étroit possible sur un représentant, celui-ci doit passer contrat individuellement avec lui, les deux parties bénéficiant alors d’un lien contractuel direct. Dès lors qu’un représentant serait à contrat avec le courtier ou le conseiller par le biais d
des avantages fiscaux qu’il y a à se faire rémunérer par celle-ci), le courtier ou conseiller serait beaucoup moins en mesure de superviser son travail, car il ne pourrait pas exiger plus que la stricte application des clauses du contrat.

3.12. Pour FAIR Canada, il est probable que si de telles relations contractuelles indépendantes deviennent valides, les courtiers et conseillers inscrits profiteraient du caractère indirect de leur relation avec leurs représentants pour décliner toute responsabilité à l’égard de leur conduite. Nous faisons remarquer que les commentaires faits par Kenmar Associates en réponse au document de consultation et datés du 28 décembre 2010 citent en exemple un cas de refus de responsabilité dans le secteur de l’assurance, qui permet justement aux compagnies de passer avec leurs représentants des contrats sans lien de dépendance.

3.13. FAIR Canada soutient que des changements qui ne laisseraient plus aux représentants l’entière responsabilité de leur conduite seraient contraires aux intérêts des investisseurs. Comme le Réglement 31-103 stipule qu’il incombe aux courtiers et conseillers inscrits de veiller au respect de la conformité par leurs représentants, toute forme d’engagement qui permettrait aux courtiers et conseillers de se laver les mains de ce que font leurs représentants serait très dangereuse pour l’efficacité de la réglementation des valeurs mobilières et de son application, en particulier en ce qui a trait aux investisseurs individuels.

3.14. Parce qu’il permet le meilleur contrôle qui soit sur les conditions d’exercice de la profession des représentants, le contrat de travail est selon nous celui qui doit être utilisé dans leur cas.

3.15. Pour établir s’il y a contrat de travail (et donc relation d’emploi) ou contrat d’entreprise (et donc relation contractuelle indépendante), l’Agence du revenu du Canada se demande avant tout quel est le degré d’autonomie ou de contrôle du travailleur, regardant en particulier si la « relation en est une de subordination […] le payeur dirige, examine et contrôle de nombreux éléments liés à la façon d’exécuter le travail ».5

3.16. Pour FAIR Canada, il est très important en ce qui nous occupe ici de souligner que l’ARC exigera cette relation d’indépendance, à défaut de quoi les représentants constitués en personne morale n’auront pas droit aux avantages fiscaux espérés d’une telle constitution. En effet, cela équivaut à dire que ces représentants ne devront pas être subordonnés à leur courtier ou conseiller inscrit, et que celui-ci ne devra ni diriger, ni examiner ni contrôler leur façon d’exécuter le travail.

3.17. Selon nous, une telle relation indirecte entre le représentant et son courtier ou conseiller est tout à fait inacceptable du point de vue de la protection des investisseurs. Elle est aussi fondamentalement incompatible avec le Règlement 31-103 et la nature du système de réglementation des valeurs mobilières. Ce système repose en effet sur un double principe – à savoir que le travail et les méthodes des représentants sont examinés de près par leur courtier ou conseiller inscrit et que les représentants doivent rendre des comptes à celui-ci.

3.18. Le groupe de travail lui-même, dans son exposé des principes de base à respecter par toute structure non traditionnelle, dit expressément que celle-ci devrait assurer que le courtier ou le conseiller « est responsable devant la loi des actes de ses représentants » et les « supervise adéquatement ». Le groupe a aussi souligné qu’il est important que le courtier ou conseiller soit vraiment en mesure d’exercer cette fonction de supervision. À notre avis, les courtiers et conseillers inscrits auraient beaucoup de mal à exercer véritableme une telle supervision sur des entreprises indépendantes. Il est plus probable qu’une relation contractuelle indirecte les inciterait à décliner toute responsabilité juridique à l’égard du travail de leurs représentants en invoquant précisément ce manque de supervision. Enfin, nous pensons qu’une relation d’indépendance serait en plus un obstacle important pour la fonction de surveillance des autorités réglementaires, parce que ces dernières l’exercent en grande partie par l’intermédiaire des courtiers et conseillers et grâce à leur collaboration.

4. La constitution en personne morale protégerait les actifs des représentants contre les recours

4.1. FAIR Canada s’inquiète d’une autre conséquence de la constitution en personne morale: si les représentants peuvent être rémunérés par le biais de sociétés utilisées comme écrans, ils pourront protéger leurs profits contre des amendes, pénalités ou dommages-intérêts qui leur seraient imposés par suite de mesures disciplinaires ou de poursuites en justice.

4.2. Pour les autorités, il serait impossible de réglementer au cas par cas les contrats passés entre les représentants et les sociétés qu’ils constitueraient et, par conséquent, d’empêcher ces représentants d’utiliser ces contrats pour protéger leurs sociétés – et donc leur propre rémunération – contre une poursuite en responsabilité à l’égard de leurs actes.

4.3. FAIR Canada considère que cette manière de se soustraire à l’obligation de responsabilité pose encore plus problème si on autorise des personnes autres que le représentant à posséder des actions de sa société-écran, car la rémunération du représentant pourrait ainsi leur être transférée alors même que ces personnes ne sont pas assujetties à l’obligation de responsabilité. FAIR Canada juge probable que s’il est permis aux représentants de se constituer en société, ceux qui chercheront à abuser de leur position de façon contraire à la déontologie feront usage cet écran – et peut-être de l’argent des contribuables – pour protéger leurs gains malhonnêtes contre toute sanction.

5. L’évaluation des trois options par FAIR Canada

5.1. FAIR Canada considère qu’aucune des trois options n’est souhaitable, du point de vue de la protection des investisseurs comme sur le plan du fardeau réglementaire. Si l’une d’elles était adoptée, il deviendrait plus difficile de protéger les investisseurs contre d’éventuelles malversations de représentants et de faire appliquer la réglementation. Et chacune aurait pour effet d’affaiblir les relations fondamentales sur lesquelles est bâti le système de réglementation des courtiers et conseillers et de leurs représentants.

5.2. Le problème de fond que FAIR Canada voit dans chaque option est que la constitution en personne morale d’un représentant et le transfert de sa rémunération à une société non inscrite contreviennent au principe de base voulant que le représentant soit lié à son courtier ou conseiller par un contrat de travail. Selon nous, l’adoption de l’une ou l’autre de ces options restreindrait le contrôle que les courtiers et conseillers inscrits sont actuellement tenus d’exercer sur leurs représentants.

5.3. FAIR Canada s’inquiète aussi de ce que si un tel régime entrait en vigueur, les courtiers et conseillers inscrits pourraient chercher à ne plus assumer la responsabilité de la conduite de leurs représentants en arguant du caractère indirect de leur relation contractuelle.

5.4. Nous craignons également que la constitution en société prévue par chacune des options permette à un représentant de mettre hors d’atteinte une partie des actifs qui seraient autrement disponibles pour les clients ou les autorités s’il est condamné à une amende ou à un dédommagement à la suite de procédures légales ou réglementaires. Avec la personnalité morale, un représentant pourrait en effet dissimuler des actifs ou les distribuer de manière à les rendre inaccessibles, ce qui lui permettrait d’agir en toute impunité.

5.5. FAIR Canada entretient aussi d’autres inquiétudes propres à chacune des trois options.

Option 1 : Proposition législative de l’Alberta Securities Commission

5.6. FAIR Canada considère que cette proposition de la commission des valeurs mobilières de l’Alberta soulève trois problèmes particuliers. D’abord, un système de permis d’exercer serait inutilement bureaucratique et imposerait un surcroît de coûts et de formalités aux représentants. Ensuite, autoriser d’autres personnes que le représentant lui-même à posséder des actions de la société en question permettrait de mettre plus facilement des actifs hors de portée des autorités en cas de procédures contre ce représentant. Et enfin, FAIR Canada estime qu’il est impossible de concevoir un système de constitution en personne morale qui ne modifierait pas dangereusement la relation juridique entre le
courtier ou conseiller inscrit et le représentant, pour les motifs expliqués aux
paragraphes 3.6 à 3.18. Comme les liens entre les courtiers et conseillers et leur clientèle se font essentiellement par l’intermédiaire de représentants, tout affaiblissement du contrôle que ces courtiers et conseillers exercent sur leurs représentants courtiers et représentants-conseils serait préjudiciable pour les liens juridiques et pratiques entre inscrits et clients.

Option 2 : Proposition législative d’Advocis

5.7. Cette deuxième proposition présente aussi trois défauts aux yeux de FAIR Canada. En premier lieu, il serait coûteux et extrêmement lourd de demander aux autorités de vérifier si les actionnaires et administrateurs des sociétés constituées par les représentants sont admissibles, et de demander aux courtiers et conseillers inscrits et à leurs représentants de faire les déclarations correspondantes. En raison du volume des investigations à faire, il serait beaucoup plus probable que des personnes y échappent et deviennent actionnaires ou administrateurs de ces sociétés alors même qu’elles ne seraient pas admissibles. Enfin, la possibilité d’acheminer les rémunérations vers des personnes non liées soulèverait des questions délicates à propos de la responsabilité des représentants envers leurs clients.

5.8. FAIR Canada juge primordial que les intérêts des clients soient la préoccupation prioritaire des courtiers et conseillers inscrits et des représentants qu’ils emploient. À son avis, seul un système faisant passer ces intérêts avant toute autre chose peut assurer une protection adéquate pour les investisseurs. Or la proposition d’Advocis placerait les représentants dans une situation où ils devraient satisfaire d’abord les intérêts d’actionnaires non liés, ce qui serait fatal pour leurs devoirs fondamentaux envers leurs clients.

5.9. En deuxième lieu, FAIR Canada considère que l’obligation pour les représentants et leur société de souscrire une assurance pour fautes et omissions poserait deux problèmes non négligeables. D’abord, une telle assurance imposerait au système un surcoût qui finirait par être répercuté sur les investisseurs. L’octroi de certains avantages fiscaux aux représentants ne saurait justifier l’ajout d’une couche bureaucratique coûteuse pour répartir un risque sur l’ensemble du secteur des valeurs mobilières. Ensuite, la souscription d’une assurance professionnelle transférerait irrévocablement la responsabilité première de la supervision sur les épaules des assureurs, alors que cette responsabilité doit absolument continuer à incomber aux courtiers et conseillers inscrits, qui sont ultimement tenus de répondre des actes de leurs représentants, sur le plan juridique comme sur le plan moral.

5.10. En troisième lieu, FAIR Canada considère inacceptable qu’il devienne possible pour des représentants d’être engagés par leur entreprise autrement que par un lien d’emploi, comme cela est évoqué à la page 8 du document de consultation. Nos commentaires des paragraphes 3.6 à 3.18 concernant le contrôle, le lien contractuel direct et l’indépendance s’appliquent également aux sociétés mises sur pied par les représentants, alors que la proposition d’Advocis leur permettrait de mettre deux couches de contrats indépendants entre eux et le courtier ou le conseiller censé les superviser.

Option 3 : Transfert de rétribution à une entreprise non inscrite

5.11. FAIR Canada estime que la troisième option – le versement de la rémunération due à un représentant à une société non inscrite – ferait particulièrement problème pour les motifs exposés au paragraphe 4.3, et aussi parce que pour obtenir les avantages fiscaux visés, un tel transfert nécessiterait une relation contractuelle qui affaiblirait le lien entre le représentant et le courtier ou conseiller inscrit, comme nous l’avons expliqué plus haut.

6. Commentaires de Kenmar Associates et de Weigh House Investor Services

6.1. FAIR Canada souhaite faire plusieurs observations en écho aux commentaires formulés par Kenmar Associates (« Kenmar ») dans leur mémoire daté du 28 décembre 2010 et à ceux de Weigh House Investor Services (« Weigh House »).

6.2. D’abord, nous sommes d’accord  avec Kenmar sur le fait qu’il est dommage qu’on ait donné aux représentants inscrits des membres de l’Association des courtiers en fonds mutuels (ACCFM) l’autorisation de faire verser leurs commissions de vente à des sociétés non inscrites. Pour les raisons exposées plus haut, FAIR Canada aurait préféré que l’ACCFM exige de ses membres un lien contractuel direct entre eux-mêmes et leurs représentants. Le secteur des fonds communs de placement a déjà assez de problèmes structurels dans ses pratiques de rémunération et de commissionnement pour ne pas les aggraver en permettant le transfert des commissions à des sociétés qui ne les ont pas gagnées. Les autorités canadiennes en valeurs mobilières feraient mieux de ne pas élargir le champ d’application de ces pratiques.

6.3. Ensuite, et cela est plus important encore, FAIR Canada pense comme Kenmar que toute tentative pour donner aux commissions de vente des avantages fiscaux que n’ont pas d’autres revenus est la pire chose à faire du point de vue de la protection des investisseurs. Les commissions ne sont pas seulement payées directement par les investisseurs, elles peuvent aussi varier selon que le représentant parvient à convaincre ses clients de multiplier les opérations sur leurs placements pour gonfler ses propres commissions – une pratique qui est coûteuse pour les investisseurs et dommageable pour la qualité de leur portefeuille. FAIR Canada considère que les rémunérations et incitatifs financiers attachés à la vente des FCP et d’autres produits de placement créent déjà une situation opposant diamétralement les intérêts des investisseurs et ceux des représentants et des courtiers et conseillers. Augmenter fiscalement l’attrait de cette forme de rémunération porterait atteinte aux intérêts des investisseurs et exacerberait les conflits engendrés par cette structure.

6.4. Comme nous l’avons expliqué dans nos commentaires sur la proposition d
paragraphes 5.7 à 5.10, nous partageons l’inquiétude de Kenmar qui constate que cette proposition paraît présupposer que le représentant cessera d’agir comme mandataire ou salarié du courtier ou conseiller inscrit. L’idée que les conseillers souscrivent des assurances professionnelles distinctes et que les représentants puissent être engagés par leur entreprise de services personnels autrement que par un lien d’emploi multiplie les couches séparant les représentants de leur courtier ou conseiller inscrit, ce qui serait inacceptable.

6.5. FAIR Canada est d’accord avec Weigh House quand celle-ci dit que les autorités devraient se concentrer sur l’abolition des inégalités entre le grand public et leurs conseillers plutôt que de s’inquiéter des inégalités entre les différents groupes de représentants.

6.6. Nous soutenons aussi fermement Weigh House dans sa volonté d’encourager les pouvoirs publics et les autorités réglementaires à rechercher des moyens d’obliger les courtiers et conseillers inscrits et leurs représentants à faire passer les intérêts de leurs clients avant toute chose dans leur travail professionnel. Une telle obligation permettrait aux investisseurs d’être mieux informés et les protégerait mieux en imposant aux courtiers et conseillers inscrits une norme de conduite claire et beaucoup plus stricte. La même obligation serait aussi bonne pour les courtiers et conseillers, car elle contribuerait à restaurer la confiance du public dans le secteur et favoriserait des relations plus étroites et plus saines entre les investisseurs et les représentants

7. Priorités réglementaires

7.1. FAIR Canada s’inquiète des nombreuses failles du système actuel de réglementation des représentants inscrits. Nous recommandons aux pouvoirs publics et aux autorités de chercher avant tout à corriger les failles qui sont défavorables aux investisseurs plutôt que de s’engager dans une initiative comme celle-ci, qui aurait pour effet d’affaiblir la surveillance et la supervision des représentants juste pour leur faire bénéficier d’un évitement fiscal.

7.2. À l’heure actuelle, les organismes d’autoréglementation (OAR) ont la responsabilité première d’établir et de faire appliquer les normes de pratique professionnelle et de conduite des affaires que doivent respecter leurs membres et les représentants inscrits de ces derniers. Les autorités réglementaires soutiennent que les OAR le font « afin de promouvoir la protection des investisseurs et de l’intérêt public ».6 Mais dans la pratique, les OAR sont plutôt démunis lorsqu’il s’agit de sanctionner réellement des représentants inscrits.

7.3. En 2009-2010, l’OCRCVM n’a réussi à recouvrer que 17,5 % des amendes qu’il a infligées à des représentants. Or ces amendes avaient souvent été imposées pour des infractions très graves aux réglementations et aux codes de déontologie. En effet, les motifs les plus courants des mesures disciplinaires prises pendant cet exercice là contre des personnes physiques tombaient dans les catégories suivantes: opérations financières personnelles inappropriées; mauvaise gestion des comptes de clients; manquement à l’obligation de protection des clients; et vol, fraude et informations fausses ou trompeuses.7 Il est crucial de souligner ici que l’OCRCVM a lui-même déclaré avoir peu de moyens pour forcer des personnes physiques à payer leurs amendes.8 De plus, l’organisme n’a pas le pouvoir d’exiger des sociétés membres qu’elles paient les amendes à la place de ces personnes. Bref, des personnes physiques commettant des infractions graves peuvent quitter une société membre de l’OCRCVM sans que personne ne paie les amendes qui leur ont été imposées, et FAIR Canada considère qu’il s’agit là d’une faille alarmante dans l’application de la réglementation des valeurs mobilières.

7.4. Les sociétés elles-mêmes font rarement l’objet de mesures disciplinaires. Plus de 80% des audiences tenues par l’OCRCVM en 2009-2010 concernaient des personnes physiques.9 Les sociétés ne sont pas sanctionnées; les particuliers le sont, mais l’incapacité de tenir ces personnes et les sociétés conjointement responsables du paiement des amendes fait que les deux peuvent échapper aux sanctions financières. Un tel système n’incite pas beaucoup les sociétés membres des OAR à faire du zèle pour superviser et surveiller leurs représentants inscrits et les forcer à respecter la réglementation.

7.5. Cela fait des années que cette faille majeure de notre appareil réglementaire existe et est bien connue et bien comprise sans qu’aucune proposition n’ait été faite pour y remédier. Affaiblir le système de surveillance et de supervision pour donner des avantages fiscaux aux représentants va à l’encontre de ce qui devrait faire partie des grandes priorités réglementaires de l’heure. FAIR Canada y voit le signe d’un manque de volonté pour chercher à corriger les graves lacunes dont souffre notre système réglementaire actuel.

Nous vous remercions de nous avoir donné l’ occasionde présenter nos commentaires et nos opinions dans ce mémoire. Nous acceptons volontiers sa publication et serions heureux d’en approfondir le contenu avec vous au moment qui vous conviendra. N’hésitez pas à contacter Ermanno Pascutto, au 416 572-2282 ou à ermanno.pascutto@faircanada.ca, ou Ilana Singer, au 416 572
ilana.singer@faircanada.ca.

Veuillez recevoir l’assurance de nos sentiments les meilleurs.

Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs

1 Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, « Renseignements à l’intention des courtiers, conseillers et gestionnaires de fonds d’investissement » , http://www.osc.gov.on.ca/fr/Dealers_compliance-system_index.htm.
2 Règlement 31-103, article 11.1
3 La règle régissant les courtiers membres no 39 de l’OCRCVM permet aussi une relation d’employé ou de mandataire mais précise que cette relation « ne saurait être celle d’un représentant constitué en société ».
4 Bulletin d’interprétation IT-73R6 de l’ARC, paragraphes 18 et 19
5 Agence du revenu du Canada, Guide RC4110 Employé ou travailleur indépendant ?, sous le titre Contrôle. Ces critères ont été établis à la suite des causes 671122 Ontario Ltd. c. Sagaz Industries Canada Inc., [2001] 2 R.C.S. 983 (2001, CSC 59) et Wiebe Door Services Ltd. v. M.N.R, [1986] 3 CF 553, dans lesquelles la Cour suprême et la Cour fédérale se sont penchées sur ce qu’est fondamentalement une relation indépendante de travail.
6 Commission des valeurs mobilières de l’Ontario, « Renseignements à
compensation ». http://www.osc.gov.on.ca/fr/Marketplaces_sro_index.htm
7 Rapport annuel 2009-2010 de l’OCRCVM
8 Advisor.ca : « Market Chatter Rises, Complaints Decline: IIROC », 13 septembre 2010 : http://www.advisor.ca/news/industry-news/market-chatter-rises-complaints-decline-iiroc-696
9 Rapport annuel 2009-2010 de l’OCRCVM