PDF ici

Le 4 octobre 2012

Joe Yassi
Vice-président à la conformité de la conduite des affaires
Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières
Bureau 2000, 121, rue King Ouest
Toronto (Ontario) M5H 3T9
Courriel : jyassi@iiroc.ca

Objet : Appel de commentaires – Projet de note d’orientation sur l’emprunt à des fins de placement – Convenance et contrôle

FAIR Canada a le plaisir de soumettre son mémoire suite à l’appel de commentaires de l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (« OCRCVM ») concernant le projet de note d’orientation relatif à l’emprunt à des fins de placement (la « proposition de note d’orientation sur les emprunts à des fins de placement »).

FAIR Canada est un organisme sans but lucratif national de défense des épargnants. À titre de représentant des investisseurs canadiens, FAIR Canada milite pour une plus grande protection dans le domaine de la réglementation des valeurs mobilières. Pour de plus amples renseignements, consultez notre site faircanada.ca.

1. Soutien à la proposition de note d’orientation sur les emprunts à des fins de placement

1.1. FAIR Canada soutient l’intention de la proposition de note d’orientation sur les emprunts à des fins de placement, qui expose les obligations existantes dans les règles de l’OCRCVM et la réglementation des valeurs mobilières et fournit des directives aux courtiers membres et aux représentants inscrits afin qu’ils surveillent de manière appropriée les comptes clients qui utilisent une stratégie d’emprunt qu’il s’agisse de prêts « avec inscription aux livres » (sur marge octroyés par le courtier membre) ou de prêts « sans inscription aux livres » (consentis par des tiers). Nous soutenons la proposition de note d’orientation sur les emprunts à des fins de placement, qui clarifie les obligations et responsabilités existantes des courtiers membres et de leurs représentants inscrits, et présente les meilleures pratiques.

2. L’utilisation des emprunts est un problème croissant

2.1. À l’automne dernier, FAIR Canada signalait le recours généralisé et inapproprié aux emprunts comme un problème de plus en plus préoccupant nécessitant l’intervention des autorités de réglementation. Nous avons écrit aux ACVM (en envoyant une copie à l’OCRCVM et à l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels – l’« ACFM »)1. L’avis de l’OCRCVM du 4 juillet 2012, qui comprend la proposition de note d’orientation sur les emprunts à des fins de placement, indique que le service d’examen de la conformité de la conduite des affaires de
l’OCRCVM a relevé un nombre croissant de cas où des stratégies inadaptées reposant sur l’emprunt ont été recommandées à des consommateurs. Il explique également que le personnel de l’OCRCVM s’est aperçu que les consommateurs ne reçoivent pas toujours les informations nécessaires pour comprendre réellement les risques liés à ces stratégies ou les détails des obligations de service de la dette qui leur incombent suite à leur choix d’utiliser un emprunt.

2.2. La proposition de note d’orientation sur les emprunts à des fins de placement est une initiative louable pour définir clairement les obligations et les meilleures pratiques pour les courtiers membres et leurs représentants inscrits. Cependant, nous ne prévoyons pas que sa publication produira une amélioration notable pour les investisseurs. Les exigences actuelles et le niveau de conformité du secteur ne garantissent pas une protection adaptée de l’investisseur contre les conseils inappropriés concernant les emprunts à des fins de placement dans des fonds communs de placement et des produits similaires. En l’absence de toute initiative complémentaire de la part des ACVM, de l’OCRCVM et de l’ACFM, la proposition de note d’orientation sur les emprunts à des fins de placement ne suffira pas à éviter que d’autres consommateurs soient exposés à des situations comportant des risques importants auxquels ils ne peuvent pas faire face.

3. Recommandations de FAIR Canada

3.1. Dans sa lettre aux ACVM, FAIR Canada a présenté un certain nombre de recommandations pour mieux protéger les investisseurs contre les conseils inadaptés de stratégies de placement reposant sur des emprunts, notamment :

– présomption qu’une stratégie de placement reposant sur des emprunts pour l’achat de fonds communs de placement, de produits structurés et complexes et de produits financiers aux frais élevés est inadaptée pour les consommateurs, ce qui laisse au représentant et à la société qui veulent recommander d’utiliser l’emprunt la responsabilité de prouver que l’emprunt est adapté pour le consommateur concerné;
– application de normes minimales pour les personnes inscrites dans l’évaluation de la convenance de l’emprunt à des fins de placement, qui incluraient les critères suivants : les connaissances du client en matière de placement, la tolérance au risque, la valeur nette, le revenu brut, la situation d’emploi et la capacité à faire face aux pertes du client;
– obligation d’obtenir un avis juridique indépendant lorsqu’un bien immobilier est utilisé à titre de garantie pour un investissement reposant sur un emprunt;
– obligation pour les inscrits et les superviseurs de certifier que les risques ont été expliqués au client et que celui-ci les a compris; et
– des règles plus strictes concernant la publicité et la promotion de ces stratégies et un examen de la convenance des relations contractuelles entre les sociétés de fonds d’investissement, les sociétés de financement et les inscrits afin de régler le problème systémique des investisseurs auxquels on vend des stratégies reposant sur l’emprunt inadaptées alors qu’elles ne leur conviennent pas.

3.2. Aucune réaction significative n’a été observée de la part des autorités de réglementation
provinciales suite à notre lettre d’octobre 2011 et le recours à l’emprunt est devenu un
problème de plus en plus préoccupant au Canada, qui doit trouver une réponse rapidement.2
Une stratégie à effet de levier exacerbe la volatilité et augmente le potentiel de baisse de
valeur et le risque de ruine financière pour les consommateurs.3

4. Inégalité des incitatifs

4.1. FAIR Canada a expliqué dans des lettres précédentes (à l’ACFM et aux ACVM4) certaines des motivations sous-jacentes qui conduisent souvent à des recommandations qui ne conviennent pas. Les émetteurs, courtiers membres et représentants inscrits peuvent pousser les consommateurs à emprunter pour investir par une présentation trompeuse ou incomplète des risques et avantages liés à une telle stratégie. Cela découle, en partie, du décalage entre les intérêts des intermédiaires financiers et ceux des consommateurs. Les inscrits sont incités à promouvoir le recours à l’emprunt qui génère des commissions plus élevées et des actifs sous gestion plus importants. De plus, les relations contractuelles entre les sociétés de fonds d’investissement, les sociétés prêteuses et les inscrits doivent être examinées, car elles peuvent augmenter les incitatifs à enfreindre les obligations
d’évaluation de la convenance ou autres des inscrits.

4.2. Le problème semble encore plus grave avec l’emprunt « sans inscription aux livres », mais se produit aussi avec l’utilisation de marges dans les sociétés inscrites. Nous avons fait part de ces préoccupations à l’OCRCVM, dans le cadre d’une consultation sur une proposition de modifications aux règles des courtiers membres sur les marges.5

4.3. Nous savons que certaines sociétés de fonds d’investissement ont des arrangements contractuels avec des sociétés de financement pour proposer des taux préférentiels sur les prêts à l’investissement aux investisseurs qui achètent leur famille de fonds communs de placement afin de générer plus de ventes de leurs propres fonds. Certains inscrits font une promotion active de l’emprunt dans le cadre d’un placement afin de faire croître les commissions et l’actif sous gestion.

4.4. La facilité qu’ont certains représentants inscrits à recommander certains placements, dont le recours à une stratégie à effet de levier, et également à engager le processus de demande de prêt (parfois dans la même journée) du bureau du fournisseur de services financiers est un autre motif d’inquiétude. Ces relations (associées au décalage des incitatifs et à la fausse impression que les représentants inscrits ont l’obligation de placer les intérêts du client avant leurs intérêts propres6) permettent au processus de vente de primer sur l’examen attentif des
intérêts du consommateur lors d’une stratégie de placement faisant appel à l’emprunt.

4.5. Nous soutenons qu’un conseiller n’a aucune raison valable de conclure que la vente de produits d’investissement avec recours massif à l’effet de levier est adaptée pour tout autre qu’un investisseur averti qui a une forte tolérance au risque. Dans un contexte de volatilité (et à une époque où les taux d’intérêt et les rendements sont bas), le recours à l’effet de levier, en particulier pour l’achat de produits aux frais élevés, est tout simplement une stratégie sans fondement qui entraînera des pertes financières importantes pour la plupart des consommateurs.

4.6. Au moins une grande banque fait la promotion de « prêts à vue 3 pour 1 sans appel de marge » aux conseillers auprès des membres de l’OCRCVM de la banque. Nous ne comprenons pas comment un produit d’investissement peut être financé à 100 % par un emprunt tout en étant encore considéré, d’un point de vue économique, comme un placement. La même réflexion s’applique, à plus forte raison, pour les prêts à vue 3 pour 1 sans appel de marge. Cette méthode est trompeuse et contradictoire. Selon nous, la banque encourage ainsi des pratiques d’emprunt irresponsables et pousse les conseillers à enfreindre les règles de vérification de la convenance. Le recours massif à l’emprunt pour l’achat de produits d’investissement incite les conseillers à mettre en jeu les économies de consommateurs peu avertis.

4.7. Les courtiers membres et leurs conseillers ne devraient pas être autorisés à promouvoir le placement à effet de levier, à moins qu’ils puissent démontrer par des exemples simples que cette stratégie de placement est une stratégie raisonnable étant donné les frais associés au produit d’investissement, l’obligation de payer les intérêts du prêt et de rembourser le capital, le contexte de politique de taux d’intérêt zéro et l’éventuelle volatilité du marché.

5. Autres recommandations de FAIR Canada

5.1. La vente d’un produit d’investissement avec recours à l’emprunt est une vente de produit au même titre que pour les BCP, les FNB à effet de levier et les titres adossés à des actifs. Les inscrits ont certaines obligations de surveillance du marché, notamment par l’application d’un contrôle diligent de ces produits et de certaines politiques et procédures, en particulier eu égard au financement de prêts « sans inscription aux livres ». Toute affirmation que l’achat de fonds communs de placement, de produits structurés et autres produits de placement aux frais élevés avec recours à l’emprunt est adapté devrait reposer sur une analyse appropriée et juste inspirée des pratiques exemplaires de contrôle diligent des produits de l’OCRCVM. L’analyse devrait prouver que le recours à l’emprunt est adapté dans le contexte en question et pour les produits financiers concernés.

5.2. Nous suggérons en particulier :

1) que l’analyse prenne en compte toutes les composantes (telles que le taux de rendement), qui doivent être utilisées de façon raisonnable et objective.
2) que l’analyse tienne compte des risques d’importantes corrections du marché et de leur impact sur le client. Ces risques doivent être clairement expliqués au consommateur.
3) que l’analyse indique quels produits financiers ont été proposés, avec leurs frais et coûts (intérêts compris).
4) que toute hypothèse en matière de fiscalité reflète la situation fiscale personnelle du client, ou bien qu’il soit clairement indiqué que les considérations fiscales n’ont pas été prises en compte et qu’un conseil fiscal doit être obtenu séparément.
5) que l’analyse soit facilement disponible et conservée dans le dossier.
6) que la documentation relative à la stratégie à effet de levier et tout matériel promotionnel associé soient approuvés par la direction.

5.3. L’OCRCVM pourrait envisager de procéder à des inspections auprès de ses courtiers membres pour :

1) déterminer l’étendue et la forme (p. ex., le recours à l’emprunt sans inscription aux livres) des placements à effet de levier par les clients des courtiers membres;
2) définir la nature des relations dans le cadre de prêts sans inscription aux livres, en particulier les arrangements contractuels entre les maisons de placement, les sociétés de financement et les représentants inscrits;
3) évaluer si le matériel publicitaire et promotionnel qui encourage les investisseurs à emprunter pour placer est juste, honnête et expose entièrement les risques liés à cette stratégie et, dans le cas contraire, prendre les mesures nécessaires pour minimiser le préjudice et empêcher les courtiers membres d’utiliser du matériel trompeur;
4) évaluer la prévalence des recommandations inadaptées de recours à l’emprunt;
5) évaluer si les clients qui ont souscrit des placements en ayant recours à l’emprunt ont reçu les informations nécessaires pour saisir réellement les risques associés à ces stratégies ou les détails des obligations de service de la dette qui leur incombent en vertu de leur choix de recourir à l’effet de levier en menant une étude statistique pertinente auprès de ces clients; et
6) estimer le degré de respect des obligations de surveillance existantes par les courtiers membres.

5.4. L’OCRCVM disposerait ensuite de données précieuses relatives à la fréquence du recours à l’effet de levier dans le cadre d’un placement pour pouvoir agir au niveau réglementaire. Cette action devrait inclure une réflexion sur la capacité des exigences actuelles en matière de vérification de la convenance à protéger suffisamment les consommateurs ou sur la nécessité d’une norme de meilleur intérêt du client.

6. Caractère applicable des recommandations

6.1. Nos commentaires ne sont pas seulement destinés à l’OCRCVM et ne s’appliquent pas à cette seule consultation. Nous pressons toutes les autorités de réglementation concernées, en particulier les ACVM, l’ACFM et l’OCRCVM, de prendre en compte les recommandations présentées dans le présent mémoire.

Nous serions heureux d’approfondir le contenu de cette lettre et de nos recommandations avec vous au moment qui vous conviendra. N’hésitez pas à contacter Ermanno Pascutto (416 214-3443, ermanno.pascutto@faircanada.ca) ou Marian Passmore (416 214-3441, marian.passmore@faircanada.ca).

Sincères salutations,

Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs

Copie à l’attention de : Bill Rice, président des ACVM
Copie à l’attention de : Mark Gordon, président et chef de la direction de l’ACFM

1 Une copie de la lettre est jointe au présent mémoire. FAIR Canada a également soumis des commentaires à l’ACFM au sujet des modifications proposées, qui visent à préciser que les obligations de convenance visées à la Règle 2.2.1 (connaissance du client) et du Principe directeur no 2 sur les normes minimales de surveillance des comptes de l’ACFM s’appliquent également aux stratégies à effet de levier, ainsi qu’à codifier les normes minimales que les membres et les personnes autorisées doivent
respecter lorsqu’ils évaluent la convenance d’un emprunt d’un client, tel que l’énonce le bulletin no 0487-P de l’ACFM publié le 11 juillet 2011. Consultation en ligne à l’adresse https://faircanada.ca/wp-content/uploads/2011/01/111006-FAIR-Canadasubmission-re-MFDA-leverage-suitability.pdf.
2 Comme l’indique l’avis de l’OCRCVM, il y a de plus en plus de cas où des stratégies à effet de levier inappropriées sont conseillées aux clients.
3 « The Danger of Leverage and Volatility », Robert Ferguson, dans The Journal of Investing, Winter 1994, pages 52 à 56
4 Voir note 1 ci-dessus.
5 Lire notre lettre du 3 mai 2012 en réponse à l’appel à commentaires – Projet de réécriture en langage simple des règles – Règles des courtiers membres sur les marges, Règles en langage simple – 5100, consultation en ligne à
https://faircanada.ca/wp-content/uploads/2011/01/120503-FAIR-Canada-comments-re-Dealer-Member-Margin-Rules.pdf.
6 Investor Education Fund: Investor behaviour and beliefs: Advisor relationships and investor decision-making study, écrit par The Brondesbury Group, 2012, pages 17 et 31. Consultation en ligne à http://www.getsmarteraboutmoney.ca/en/research/Our-research/Pages/Investor-behaviour-and-beliefs.aspx