12 novembre 2012
M. Philip Howell
Directeur général et
Surintendant des services financiers
Commission des services financiers de l’Ontario
5160, Rue Yonge, C.P. 85
Toronto (Ontario) M2N 6L9
Envoyé par courriel à : phil.howell@fsco.gov.on.ca
Objet : Recommandations inappropriées liées à l’emprunt dans le cadre d’un investissement
FAIR Canada souhaiterait porter à votre attention ses inquiétudes concernant les recommandations d’emprunt pour investir faites à des consommateurs lorsqu’elles ne sont pas adaptées à leurs besoins et qu’elles les placent donc dans des situations inappropriées de placement à haut risque. Les exigences actuelles imposées aux fournisseurs de services financiers (agents d’assurance compris) et aux sociétés inscrites qui vendent des fonds communs de placement, des fonds distincts et d’autres produits d’investissement semblables et le degré de respect des obligations applicables du secteur ne garantissent pas une protection appropriée des investisseurs contre des conseils inadaptés d’emprunter pour investir.
1. L’utilisation des emprunts, un problème de plus en plus préoccupant
1.1. À l’automne dernier, FAIR Canada signalait le recours généralisé et inapproprié aux emprunts comme un problème de plus en plus préoccupant nécessitant l’intervention des autorités de réglementation. Nous avons écrit aux ACVM [avec copie à l’Organisme canadien de réglementation du commerce des valeurs mobilières (« OCRCVM ») et à l’Association canadienne des courtiers de fonds mutuels (« ACFM »)].1 Notre lettre faisait suite à une première lettre envoyée à l’ACFM pour soutenir son projet de modifications destiné à clarifier les obligations d’évaluation de la convenance relatives aux stratégies à effet de levier et à codifier les normes minimales d’évaluation de la convenance du recours à l’effet de levier.
1.2. Nous avons également porté la question à votre attention lors d’une réunion dans nos bureaux le 19 décembre 2011 et dans les commentaires que nous vous avons adressés dans notre lettre du 6 juin 2012 relative au projet d’énoncé de priorités et d’orientations stratégiques (« projet d’énoncé ») de la Commission des services financiers de l’Ontario (CSFO)
1.3. Récemment, l’avis de l’OCRCVM du 4 juillet 2012 présentant une proposition de note d’orientation sur les emprunts à des fins de placement2 indiquait que le service d’examen de la conformité de la conduite des affaires a relevé un nombre croissant de cas où des stratégies inadaptées reposant sur l’emprunt ont été recommandées à des consommateurs. Il explique également que le personnel de l’OCRCVM s’est aperçu que les consommateurs ne reçoivent pas toujours les informations nécessaires pour comprendre réellement les risques liés à ces stratégies ou les détails des obligations de service de la dette qui leur incombent suite à leur choix d’utiliser un emprunt.
1.4. Récemment, deux actions collectives ont été engagées, liées à l’utilisation d’emprunts par des clients à qui l’on a vendu des fonds communs de placement ou des fonds distincts au Canada. 3
1.5. En l’absence de nouvelles mesures de la part des autorités de réglementation, notamment la CSFO, d’autres consommateurs se trouveront dans des situations d’emprunt à haut risque auxquelles ils ne peuvent pas faire face.
1.6 FAIR Canada a expliqué dans ses lettres précédentes (à l’ACFM et aux ACVM4) certaines des motivations sous-jacentes qui conduisent souvent à des recommandations qui ne conviennent pas. Les émetteurs, courtiers membres et représentants inscrits peuvent pousser les consommateurs à emprunter pour investir par une présentation trompeuse ou incomplète des risques et avantages liés à une telle stratégie. Cela découle, en partie, du décalage entre les intérêts des intermédiaires financiers et ceux des consommateurs. Les inscrits sont incités à promouvoir le recours à l’emprunt parce qu’il génère des commissions plus élevées et des actifs sous gestion plus importants. De plus, les relations contractuelles entre les sociétés de fonds d’investissement, les sociétés prêteuses et les inscrits doivent être examinées, car elles peuvent augmenter les incitations à enfreindre les obligations d’évaluation de la convenance ou autres des inscrits. Ainsi, la Banque Laurentienne, par l’intermédiaire de sa filiale Banque B2B, a racheté Fiducie AGF en 2012 et, d’après son communiqué de presse, semble avoir
27 000 « conseillers » pour 750 000 clients, qui pourraient avoir emprunté.5
1.7. On trouve les mêmes incitatifs et ententes contractuelles pour les fonds distincts et les obligations réglementaires applicables aux fonds communs de placement (dont l’obligation de remettre un document explicatif des risques encourus – Règle 2.6 de l’ACFM – et d’appliquer certains critères pour évaluer la convenance du recours à l’effet de levier) ne s’appliquent pas pour les fonds distincts.
1.8. Des données empiriques révèlent que les fournisseurs de services financiers ont conscience de la facilité avec laquelle ils peuvent vendre aux clients qui ont investi en empruntant des produits d’assurance sans avoir à se soucier d’exigences ou d’un contrôle réglementaires trop lourds.6 Certains ont même annulé leur accréditation ACFM en raison du « fardeau réglementaire » qui s’y rattache. Nous pensons que cela augmente le risque pour les consommateurs de se voir proposer des produits d’investissement par des agents d’assurance qui utilisent des stratégies reposant sur l’emprunt non adaptées aux clients, qui ne répondent pas à leurs besoins et les exposent à des risques financiers.
1.9. Nous savons que certaines sociétés de fonds d’investissement ont des arrangements contractuels avec des sociétés de financement pour proposer des taux préférentiels sur les prêts à l’investissement aux investisseurs qui achètent leur famille de fonds communs de placement (et certainement aussi leurs fonds distincts) afin de générer plus de ventes de leurs propres fonds. Certains inscrits font une promotion active de l’emprunt dans le cadre d’un placement afin de faire croître les commissions et l’actif sous gestion.
1.10. La facilité qu’ont certains fournisseurs de services financiers à recommander certains placements, dont le recours à une stratégie à effet de levier, et également à engager le processus de demande de prêt (parfois dans la même journée) du bureau du fournisseur de services financiers est un autre motif d’inquiétude. Ces relations (associées au décalage des incitatifs et à l’impression trompeuse que les fournisseurs de services financiers ont l’obligation de placer les intérêts du client avant leurs intérêts propres7) permettent au processus de vente de primer sur l’examen attentif des intérêts du consommateur lors d’une stratégie de placement faisant appel à l’emprunt.
1.11. Nous soutenons qu’un conseiller n’a aucune raison valable de conclure que la vente de produits d’investissement avec recours massif à l’effet de levier est adaptée pour tout autre qu’un investisseur averti qui a une forte tolérance au risque. Dans un contexte de volatilité (et à une époque où les taux d’intérêt et les rendements sont bas), le recours à l’effet de levier, en particulier pour l’achat de produits aux frais élevés, est tout simplement une stratégie sans fondement qui entraînera des pertes financières importantes pour la plupart des consommateurs. Cela s’applique quelles que soient les garanties liées au produit.
2. Recommandations de FAIR Canada
2.1. Dans sa lettre aux ACVM, FAIR Canada a présenté un certain nombre de recommandations pour mieux protéger les investisseurs contre les conseils inadaptés de stratégies de placement à effet de levier, notamment :
- présomption qu’une stratégie de placement reposant sur des emprunts pour l’achat de fonds communs de placement, de produits structurés et complexes et de produits financiers aux frais élevés est inadaptée pour les consommateurs, ce qui laisse au représentant et à la société qui veulent recommander d’utiliser l’emprunt la responsabilité de prouver que l’emprunt est adapté pour le consommateur concerné;
- application de normes minimales pour les personnes inscrites dans l’évaluation de la convenance de l’emprunt à des fins de placement, qui incluraient les critères suivants : les connaissances du client en matière de placement, la tolérance au risque, la valeur nette, le revenu brut, la situation d’emploi et la capacité à faire face aux pertes du client;
- obligation d’obtenir un avis juridique indépendant lorsqu’un bien immobilier est utilisé à titre de garantie pour un investissement reposant sur un emprunt;
- obligation pour les inscrits et les superviseurs de certifier que les risques ont été expliqués au client et que celui-ci les a compris; et
- des règles plus strictes concernant la publicité et la promotion de ces stratégies et un examen de la convenance des relations contractuelles entre les sociétés de fonds d’investissement, les sociétés de financement et les inscrits afin de régler le problème systémique des investisseurs auxquels on vend des stratégies reposant sur l’emprunt alors qu’elles ne leur conviennent pas.
2.2. Les compagnies d’assurance, les agents d’assurance et leurs fournisseurs de services financiers ne devraient pas être autorisés à promouvoir le placement à effet de levier, à moins qu’ils puissent démontrer par des exemples simples que cette stratégie de placement est une stratégie raisonnable étant donné les frais associés au produit d’investissement, l’obligation de payer les intérêts du prêt et de rembourser le capital, le contexte de politique de taux d’intérêt zéro et l’éventuelle volatilité du marché.
3. Autres recommandations de FAIR Canada
3.1. La vente d’un produit d’investissement avec recours à l’emprunt est une vente de produit au même titre que pour les BCP, les FNB à effet de levier et les titres adossés à des actifs. Les inscrits doivent respecter certaines obligations de surveillance du marché dans la pratique de leur activité, notamment par l’application d’un contrôle diligent de ces produits, et devraient avoir à respecter certaines obligations eu égard au financement de prêts sans inscription aux livres. Toute affirmation que l’achat de fonds distincts, de fonds communs de placement, de produits structurés et autres produits de placement aux frais élevés avec recours à l’emprunt est adapté devrait reposer sur une analyse appropriée et juste.
3.2. Nous suggérons en particulier :
1) que l’analyse prenne en compte toutes les composantes (telles que le taux de rendement), qui doivent être utilisées de façon raisonnable et objective.
2) que l’analyse tienne compte des risques d’importantes corrections du marché et de leur impact sur le client. Ces risques doivent être clairement expliqués au consommateur.
3) que l’analyse indique quels produits financiers ont été proposés, avec leurs frais et coûts (intérêts compris).
4) que toute hypothèse en matière de fiscalité reflète la situation fiscale personnelle du client, ou bien qu’il soit clairement indiqué que les considérations fiscales n’ont pas été prises en compte et qu’un conseil fiscal doit être obtenu séparément.
5) que l’analyse soit facilement disponible et conservée dans le dossier.
6) que la documentation relative à la stratégie à effet de levier et tout matériel promotionnel associé soient approuvés par la direction.
3.3. FAIR Canada recommande à la CSFO d’envisager de procéder à des inspections auprès de ses agents d’assurance (dans le cadre de l’étude de la convenance du produit ou autrement) pour :
1) déterminer l’étendue et la forme du placement à effet de levier par les clients des agents d’assurance;
2) définir la nature des relations dans le cadre de prêts sans inscription aux livres, en particulier les arrangements contractuels entre les maisons de placement, les sociétés de financement et les agents d’assurance;
3) évaluer si le matériel publicitaire et promotionnel qui encourage les investisseurs à emprunter pour placer est juste, honnête et expose entièrement les risques liés à cette stratégie et, dans le cas contraire, prendre les mesures nécessaires pour minimiser le préjudice et empêcher les compagnies d’assurance et leurs agents d’utiliser du matériel trompeur;
4) évaluer la prévalence des recommandations inadaptées de recours à l’emprunt; et
5) évaluer si les clients qui ont souscrit des placements en ayant recours à l’emprunt ont reçu les informations nécessaires pour saisir réellement les risques associés à ces stratégies ou les détails des obligations de service de la dette qui leur incombent en vertu de leur choix de recourir à l’effet de levier en menant une étude statistique pertinente auprès de ces clients.
3.4. La CSFO disposerait ensuite de données précieuses relatives à la fréquence du recours à l’effet de levier dans le cadre d’un placement pour pouvoir agir au niveau réglementaire. Cette action devrait inclure une réflexion sur la capacité des exigences actuelles en matière de vérification de la convenance à protéger suffisamment les consommateurs ou sur la nécessité d’exigences réglementaires particulières indispensables.
Nous avons l’intention de publier cette lettre sur notre site Internet. Nous serions heureux d’en approfondir le contenu avec vous au moment qui vous conviendra. Veuillez communiquer avec Ermanno Pascutto (416 214-3443, ermanno.pascutto@faircanada.ca) ou Marian Passmore (416 214-3441, marian.passmore@faircanada.ca).
Sincères salutations,
Fondation canadienne pour l’avancement des droits des investisseurs
Pièce jointe: Lettre de FAIR Canada au président des ACVM sur l’investissement avec recours à l’emprunt
1 Une copie de la lettre est jointe au présent mémoire. FAIR Canada a également soumis des commentaires à l’ACFM au sujet des modifications proposées, qui visent à préciser que les obligations de convenance visées à la Règle 2.2.1. (Connaissance du client) et du Principe directeur no 2 sur les normes minimales de surveillance des comptes de l’ACFM s’appliquent également aux stratégies à effet de levier, ainsi qu’à codifier les normes minimales que les membres et les personnes autorisées doivent respecter lorsqu’ils évaluent la convenance d’un emprunt d’un client, tel que l’énonce le bulletin no 0487-P de l’ACFM publié le 11 juillet 2011. Consultation en ligne à l’adresse https://faircanada.ca/wp-content/uploads/2011/01/111006-FAIR-Canada-submission-re-MFDA-leverage-suitability.pdf.
2 *insérer lien vers l’avis et la proposition de note d’orientation+
3 Lire George French v. Investia Financial Services Corp et al 2012, no ONSC 1150, consultation en ligne à l’adresse http://www.thomsonrogers.com/james-stephenson-money-concepts-class-action; et recours collectif pour 80 millions $ contre Brian Malley, lire http://www.cbc.ca/news/canada/edmonton/story/2012/10/03/edmonton-lawsuit-brian-malley.html.
4 Voir note 1 ci-dessus.
5 Les soupçons que des conseillers financiers qui distribuent des produits de la Banque B2B recommandent des stratégies à effet de levier avec achat de produits des fonds de Fiducie AGF entraînent de sérieuses inquiétudes. Lire le communiqué de presse de la Banque Laurentienne à http://www.prnewswire.com/news-releases/laurentian-bank-reports-a-21-increase-in-operatingnet- income-for-the-third-quarter-of-2012-168133216.html
6 Article du Globe and Mail “Terrible financial advice –available at a location near you” de Ted Rechtashaffen publié le 14 novembre 2011; consultation en ligne à http://www.theglobeandmail.com/globe-investor/personal-finance/terrible-financialadvice—available-at-a-location-near-you/article1357633/. Lire également l’article d’Investment Executive “Contemplating leverage” de Jade Hemeon, publié le 22 octobre 2012, à http://www.investmentexecutive.com/-/contemplating-leverage.
7 Investor Education Fund: Investor behaviour and beliefs: Advisor relationships and investor decision-making study, écrit par The Brondesbury Group, 2012, pages 17 et 31. Consultation en ligne à http://www.getsmarteraboutmoney.ca/en/research/Ourresearch/ Pages/Investor-behaviour-and-beliefs.aspx